Note d'information du P.Patrick
Verspieren (1996)
A la demande de la Commission sociale de l'Episcopat,
le P.Patrick Verspieren a rédigé cette
note d'information sur les dons d'organes :
Les greffes d'organe sont le seul moyen actuellement
envisageable pour sauver la vie de certains malades
ou remédier à des astreintes très
éprouvantes (les séances répétées
de dialyse à l'aide d'un rein artificiel en
cas d'insuffisance rénale). Ne peuvent évidemment
être greffés que des organes prélevés
sur des personnes vivantes (ce qui est envisageable
pour le rein, mais reste peu pratiqué en France)
ou sur des personnes décédées
en état de mort cérébrale (ou
en état de "mort encéphalique",
terme que les médecins jugent plus précis).
Selon un des derniers rapports publiés par
l'Etablissement français des greffes, le nombre
des prélèvements réalisés
sur des personnes décédées a
régulièrement augmenté jusqu'en
1991.
On pouvait alors espérer pouvoir greffer bientôt
tous les malades qui en auraient besoin. Au lieu de
cela, le nombre de ces prélèvements
a ensuite baissé chaque année : il est
tombé en 1994 à 876, soit 20% de moins
que trois ans auparavant. Cette diminution est due
en grande partie à ne opposition croissante
des familles. Désormais, entre une fois sur
trois et une fois sur quatre, une telle opposition
conduit à renoncer à tout prélèvement.
Le nombre des organes prélevés sur la
même personne est aussi en diminution. Tout
cela a conduit à ne réaliser en 1994
que 2 855 transplantations, alors qu'à la fin
de la même année 5 359 personnes restaient
inscrites sur une liste d'attente.
En 1995, selon les estimations actuelles, il aura
été possible de réaliser un nombre
de transplantations un peu supérieur mais encore
nettement inférieur à celui de 1991,
et encore plus à celui qui serait souhaitable.
Ainsi, en ce qui concerne le cœur environ 600
personnes sont chaque année atteintes de maladies
qui rendent nécessaire une greffe alors que
seulement un peu plus de 400 transplantations cardiaques
sont réalisées. Faute de greffe pratiquée
à temps, l'état de bien des malades
s'aggrave ; des morts se produisent qui auraient pu
être évitées. La longueur de l'attente
suscite de plus chez chacun une angoisse très
éprouvante.
Cette situation ne peut s'améliorer qu'avec
la collaboration d'un grand nombre de personnes et
le développement d'un esprit de solidarité.
L'Etablissement français des greffes, par un
encadrement plus précis des activités
de prélèvements et de greffes, et l'information
détaillée qu'il met à la disposition
de tous, s'efforce de rétablir un climat de
confiance. Les médecins sont appelés
à diagnostiquer à temps les états
de mort cérébrale et à envisager
la perspective de prélèvements, dans
le respect de toutes les personnes concernées.
Leurs collaborateurs ont un rôle très
important à jouer, notamment dans l'accueil
des familles. Mais rien ne sera possible sans l'appui
de la population entière et l'acceptation par
beaucoup de la perspective de prélèvements
après la mort sur eux-mêmes ou sur la
personne de proches parents. Cela nécessite
qu'une telle perspective devienne l'objet d'une réflexion
personnelle et d'échanges multiples. Les communautés
chrétiennes représentent sans doute
un lieu privilégié pour un tel dialogue.
Non seulement les organes, mais aussi des tissus
peuvent faire l'objet de greffes. Il en va ainsi pour
la cornée. C'est le seul moyen de rendre la
vue à certaines personnes aveugles ou menacées
de cécité. En 1994 ont été
pratiquées 2 700 greffes de cornée (le
nombre de personnes inscrites sur une liste d'attente
était au minimum le double).
Les cornées peuvent certes être prélevées
sur des personnes en état de mort cérébrale,
après qu'ait été réalisé
un prélèvement. L'expérience
montre bien que des familles jugent que cela dépasse
les limites de ce qu'elles peuvent supporter, comme
l'a tragiquement montré la pénible "affaire
d'Amiens". Mais les cornées peuvent aussi
être recueillies, plusieurs heures après
leur décès, sur des personnes dont la
mort a été constatée par l'arrêt
du cœur et de la respiration. C'est le cas actuellement,
dans environ 80 % des cas. Il n'y a pas alors de prélèvements
d'organes il est très souhaitable d'un tel
don de cornées fasse lui aussi l'objet d'échanges
dans les familles et les diverses communautés,
et que chacun exprime clairement à l'avance
ses volontés à ce propos. Cela contribuerait,
le moment venu, à lever les réticences
des familles envers un prélèvement qui
porte sur le visage et sur ce qui était auparavant
le support du regard de la personne défunte.
Le développement de ces prélèvements
en France permettrait d'éviter à l'avenir
l'utilisation de cornées venues de différents
pays étrangers. Ce serait un moyen de mettre
un terme aux rumeurs qui ont couru à propos
de trafics de cornées et de rétablir,
définitivement on peut l'espérer, un
climat de confiance. L'acceptation des prélèvements
de tissus et d'organes répond aux exigences
les plus strictes de la moralité. Tout doute
à ce sujet a de graves conséquences.
C'est ce qu'ont compris les autorités françaises
qui font désormais preuve de la plus grande
vigilance.
La législation
La législation actuelle sur les prélèvements
et les greffes de tissus et d'organes repose principalement
sur une loi promulguée en juillet 1994. Elle
est très restrictive en ce qui concerne les
prélèvements sur des personnes vivantes.
Après la mort, les prélèvements
sur des mineurs ou des majeurs protégés
(sous tutelle…) sont soumis à l'autorisation
explicite des parents ou du représentant légal.
Sur les autres adultes, "le prélèvement
peut être effectué dès lors qu
le personne concernée n'a pas fait connaître,
de son vivant, son refus d'un tel prélèvement".
Le principe retenu est donc celui du "consentement
présumé" : qui n'a dit mot est
réputé avoir consenti. On peut contester,
pour des raisons éthiques, une telle disposition.
Mais, dans le texte de la loi, elle est aussitôt
corrigée par l'obligation faite au médecin,
s'il n'a pas eu directement connaissance de la volonté
du défunt, "de s'efforcer de recueillir
le témoignage de sa famille" . Dans ces
cas, de loin les plus nombreux, un dialogue avec les
proches parents est donc exigé. Cela conduit
de fait les médecins à s'incliner devant
une éventuelle opposition de la famille. Actuellement,
entre une fois sur trois et une fois sur quatre, aucun
prélèvement n'est effectué, en
raison d'une telle opposition.
La position de l'Eglise catholique
Le magistère de l'Eglise catholique n'a jamais
élevé d'objection de principe aux prélèvements
de tissus et d'organes. Bien au contraire, dès
1956, le Pape Pie XII approuvait le prélèvement
et la greffe de cornées au bénéfice
d'aveugles ou de personnes menacées de cécité
(cf. DC 1956, n°1228) et en 1991, le Pape Jean-Paul
II se réjouissait "de ce que la médecine,
dans le service qu'elle rend à la vie, ait
trouvé dans les transplantations d'organes
une nouvelle manière de servir la famille humaine"
(DC 1992, n° 2051). En 1993, le conseil permanent
de la Conférence des Evêques de France
rappelait "l'acceptation par l'Eglise catholique
des prélèvements et des greffes de tissus
et d'organes humaines dans la mesure où ils
sont pratiqués dans un total respect de la
dignité humaine et des droits des personnes
concernées" (DC 1993, n°2082).
Les prélèvements doivent en effet
être réalisés d'une manière
qui témoigne du respect dû au corps humain,
et résulter d'un don fait librement dans un
esprit de solidarité avec ceux qui souffrent.
Jean-Paul II privilégie "une décision
antérieure, explicite, libre et consciente
de la part du donneur". Pie XII, un accord exprès
ou tacite, de "ceux à qui incombe le soin
du cadavre, les proches parents d'abord". Tous
deux réprouvent ce qui serait un acte "non
plus de donation mais plutôt de spoliation"
(Jean-Paul II) ou une atteinte "aux droits et
aux sentiments" de la famille proche (Pie XII).
La pratique française actuelle repose sur des
témoignages relatifs au consentement antérieur
du défunt ou, à défaut, sur l'absence
d'opposition des proches de ce défunt. Elle
est donc conforme aux exigences formulées par
l'Eglise catholique.
Dans les années passées, des familles
ont été gravement blessées dans
leur sensibilité par le prélèvement
sur un même corps d'un grand nombre d'organes
et de tissus. En 1993, le Conseil permanent a apporté
son soutien à ceux qui s'opposent à
ce qui apparaît dépasser "les limites
du supportable". Ce message a été
entendu. Le corps médical a désormais
conscience du respect dû, en ce domaine, aux
proches du défunts.
L'Eglise a ainsi indiqué l'existence de limites
et appelé au respect des personnes éprouvées
par la perspective de prélèvements.
Mais comment ne serait-elle pas attentive aussi à
la souffrance des malades pour lesquels une greffe
est le seul moyen de recouvrer la santé ou
même échapper à la mort ? Pour
beaucoup d'entre eux, c'est leur vie qui est en jeu.
Tout en veillant à n'en faire d'aucune façon
un devoir, l'Eglise invite donc chacun à consentir
à ces prélèvements en ce qui
concerne son propre corps après sa mort ou
celle d'un proche. C'est indéniablement une
des formes actuelles de la solidarité, une
manifestation des plus éloquentes de la fraternité
humaine.
Patrick VERSPIEREN,
Directeur du Département d'éthique biomédicale
du Centre Sèvres
A
titre informatif on peut voir cette association :
http://assoc.wanadoo.fr/france-adot/sommaire.html
|