En finir avec le gâchis alimentaire

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FAOLe 16 octobre, à l’occasion de la journée mondiale de l’alimentation, le pape François a adressé un message à Mr. Jose Graziano da Silva, le responsable de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Un texte important qui émet une critique frontale de la société de consommation et de la culture du « jetable ». En remettant au centre la question de la dignité humaine et de la solidarité avec les autres et le respect de la terre. Et un texte qui relance un appel à sortir de la « globalisation de l’indifférence » qui s’habitue aussi bien au sort des migrants de Lampedusa qu’au gâchis scandaleux de nourriture chaque année. La FAO rappelait début octobre ce chiffre terrifiant : malgré tous les discours,  842 millions de personnes souffrent encore de faim chronique » en 2011-2013. L’Afrique subsaharienne « reste la région à la plus forte prévalence de sous-alimentation ».

La journée mondiale de l’alimentation nous place devant un des défis les plus importants pour notre humanité : celui des conditions tragiques dans lesquelles vivent encore des millions de gens affamés ou malnutris, et parmi eux beaucoup d’enfants. Et cela prend des proportions particulièrement graves de nos jours, alors que des progrès sans précédents s’opèrent dans les milieux scientifiques et les moyens de communication.

C’est un scandale qu’il y ait toujours encore la faim et la malnutrition dans ce monde. Il ne s’agit pas juste de répondre à des urgences immédiates mais de prendre en compte, ensemble et dans tous les domaines, ce défi qui touche notre conscience individuelle et collective pour arriver à trouver une solution juste et durable. Personne ne devrait être obligé d’abandonner son pays ou son environnement culturel du fait de manques de moyens de subsistances. Le paradoxe de notre temps est qu’alors que la globalisation nous permet de connaitre les situations de détresses dans le monde et de multiplier les échanges et les relations humaines, la tendance semble être de plus en plus celle de l’individualisme, nous poussant à nous occuper que de nous même, avec son lot d’attitudes d’indifférences -personnelles, institutionnelles et étatiques- à l’égard de ceux qui meurent de faim ou souffrent de malnutrition, comme si c’était une réalité inévitable. Mais la faim et la malnutrition ne peuvent pas être considérés comme des événements ordinaires auxquels on pourrait s’habituer puisqu’ils feraient parti du système. Il faut changer quelque chose en nous, dans notre mentalité, dans notre société. Que pouvons nous faire ?

Je pense qu’un pas important serait d’arriver à diminuer cet individualisme, avec détermination, en luttant contre ce qui nous enferme, contre l’esclavage du profit à tout prix. Et ceci, non pas seulement dans les relations humaines mais aussi dans les dynamiques économiques et financières globales. Je pense qu’il est nécessaire, aujourd’hui plus que jamais, de nous éduquer à la solidarité, de redécouvrir la valeur et le sens de ce mot très inconfortable souvent laissé de côté, pour qu’il devienne l’arrière fond de nos décisions sur les plans politiques, économiques, et financiers en relation avec les personnes, surpassant les visions égoïstes et partisanes. Et ainsi, à la fin, nous arriverons aussi à atteindre l’objectif d’éliminer les formes d’indigence que créent le manque de nourriture. Une solidarité qui ne se réduit pas à des formes de bien être, mais qui soit un effort pour assurer qu’un nombre toujours plus grand de personnes deviennent économiquement indépendantes. Beaucoup a déjà été fait dans différents pays mais nous sommes encore loin d’un monde où tous peuvent vivre dignement.

Le sujet que la FAO a choisi cette année évoque des « systèmes alimentaires durables pour la sécurité alimentaire et la nutrition ». Je vois là une invitation à repenser et renouveler nos systèmes alimentaires dans une perspective de solidarité, dépassant la logique d’une exploitation débridée de la Création, et en orientant mieux notre engagement à cultiver et garder l’environnement naturel et ses ressources, de manière à garantir la sécurité alimentaire. Et ainsi progresser vers un niveau de nourriture suffisant et de bonne qualité pour tous. Cela demande de poser de bonnes questions sur la nécessité de changer vraiment notre style de vie, incluant celui de notre alimentation, qui dans de si nombreuses régions de la planète est marqué par le consumérisme, les déchets et le gâchis de nourriture. Les chiffres que la FAO donne sur ce sujet montre qu’un tiers environ de la production globale alimentaire n’est pas accessible du fait des pertes et des gâchis de toute sortes. Une quantité de nourriture qui, si elle était mieux utilisée, suffirait pourtant à réduire très fortement le nombre d’affamés. Nos parents nous ont éduqués à apprécier ce que nous avions et recevions, comme des dons précieux de Dieu.

Cependant, le gâchis de nourriture n’est qu’un des fruits de cette culture du « jetable » qui mène souvent à sacrifier des hommes et des femmes aux idoles du profit et de la consommation. C’est un signe triste de la « globalisation de l’indifférence » qui nous « accoutume » lentement à la souffrance des autres comme si c’était quelque chose de normal.

Le défi de la faim et de la malnutrition n’a pas qu’une dimension économique ou scientifique, avec la référence aux aspects quantitatifs et qualitatifs de la chaîne alimentaire, mais aussi et surtout aux dimensions éthiques et anthropologiques. Éduquer à la solidarité signifie ainsi du coup nous éduquer humainement : construire une société qui est vraiment humaine demande de toujours mettre la personne et sa dignité en son centre. Et ne jamais la vendre à bas prix à la logique du profit. L’être humain et sa dignité sont « des piliers sur lesquels il faut construire des règles partagés et des structures qui, allant plus loin que le simple pragmatisme ou les données techniques, sont capables d’éliminer les divisions et de dépasser le simple fait de se satisfaire des différences existantes. » (Texte à la FAO, 20 juin 2013)

Nous sommes aussi à la porte de l’année internationale dédiée à la famille rurale, telle que la FAO l’a annonce. Ceci m’offre la possibilité d’un troisième élément de réflexion : l’éducation à la solidarité et à des modes de vie qui dépassent la culture du « jetable », mettant vraiment au centre chaque personne et sa dignité, est au cœur du projet familial. Comme première communauté éducative, nous apprenons d’elle à prendre soin des autres, du bien des autres et d’aimer l’harmonie d’une Création durable. Soutenir et protéger le famille dans ce travail éducatif à la solidarité et au respect, est une étape importante pour aller vers une société plus humaine  et plus équitable.

L’Eglise catholique emprunte ce chemin avec vous, rappelant que la charité, l’amour reste bien l’âme de sa mission. Que la célébration d’aujourd’hui ne soit pas qu’un simple événement annuel mais une vraie occasion pour nous presser, nous et nos institutions, à agir selon une culture de la rencontre et de la solidarité, pour donner des réponses adéquates aux problèmes de la faim et de la malnutrition ainsi qu’à d’autres problèmes qui affectent la dignité de chaque être humain.

DL

Trad : DL

 

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