Séparatisme : ces 4 mesures qui inquiètent l’Église

<p>Le ministre de l'Intérieur et des cultes, Gérald Darmanin, est à la manoeuvre pour défendre le projet de loi sur les principes républicains devant les députés.</p>

Le ministre de l'Intérieur et des cultes, Gérald Darmanin, est à la manoeuvre pour défendre le projet de loi sur les principes républicains devant les députés.

- Arthur Nicholas Orchard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Il n’est censé pointer du doigt que l’islam radical, et pourtant à combien de reproches infondés et de contre-vérités sur l’Église catholique l’examen de ce texte a-t-il donné lieu ! Preuve que s’attaquer à l’équilibre de la laïcité française ressuscite forcément des vieux démons… et implique inévitablement des bouleversements pour toutes les religions implantées sur le territoire.

Alors qu’elle est ancrée depuis des siècles dans la société française, l’Église catholique s’inquiète de plusieurs menaces que ce nouveau texte fait peser sur elle. « Nous n’étions pas demandeurs de cette loi. Nous sommes dans une relation instituée avec l’État depuis 1905, qui nous convient bien, et nous ne voulons pas des contraintes supplémentaires que ce texte va nous imposer », déplore auprès de Famille Chrétienne le père Hugues de Woillemont, secrétaire général de la Conférence des évêques de France (CEF), qui participait mercredi 3 février à l’audition au Sénat avec son président Mgr Éric de Moulins-Beaufort pour préparer les futurs débats. Ils ont pu exposer les différents points qu’ils redoutent dans cette loi « répressive [qui] ne peut que donner cette impression » de méfiance envers tous les citoyens croyants, a déclaré Mgr de Moulins-Beaufort.

1. Crainte majeure autour de l’article 27

La réserve principale de l’Église catholique porte sur l’article 27. Il concerne la déclaration de la qualité « cultuelle » des associations, qui leur permet de disposer de certains avantages fiscaux et toucher des subventions publiques. En l’occurrence, pour l’Eglise, chaque diocèse a pour cadre juridique une association cultuelle (dite « association diocésaine »). Il y en a une centaine en France – tandis que les protestants en comptent environ 2 500, une par lieu de culte. Il faut ajouter au décompte des associations cultuelles catholiques de nombreuses œuvres sociales, comme le Secours Catholique et bien d’autres…

L’article 27 prévoit donc pour ces associations une déclaration de « qualité cultuelle » à renouveler tous les cinq ans. « On se demande si les préfectures vont avoir la capacité de gérer tous ces dossiers pour l’ensemble des cultes, dans les délais impartis », s’inquiète le père de Woillemont, déplorant aussi de nouvelles contraintes administratives pour l’Eglise elle-même. « Nos statuts sont déjà déposés depuis longtemps en préfecture, ainsi que la liste de nos évêques, qui dirigent les associations diocésaines, et nos comptes eux-mêmes sont déposés et publiés au journal officiel », détaille le secrétaire général de la CEF. Les évêques avaient demandé que cette reconnaissance se fasse plutôt par tacite reconduction, ce qu’a laissé sous-entendre le ministre de l’Intérieur à l’Assemblée nationale. Même cette décision sera peut-être précisée dans un décret, l’incertitude demeure. Mgr Éric de Moulins-Beaufort a rappelé lors de l’audience que le Conseil d’État avait suggéré que cette reconnaissance soit permanente.

2. Le mystérieux « contrat d’engagement républicain »

L’autre réserve évoquée concerne l’établissement d’un « contrat d’engagement républicain », dont le contenu est encore un peu flou, que les associations cultuelles devraient signer. Ce contrat pourrait finalement être une charte, quoiqu’il en soit l’Église dénonce cette multiplication des pactes instaurant un climat de suspicion à l’égard des cultes. « Nos associations s’inscrivent déjà dans le respect des lois de la République. Ce contrat est-il vraiment pertinent ? Il y avait déjà auparavant une charte, on veut aujourd’hui ajouter un contrat, jusqu’où va-t-on aller ? » s’inquiète le père de Woillemont.

Lors du débat en commission, un amendement déposé par Les Républicains avait ravivé les craintes de l’Église, proposant d’ajouter aux critères de ce contrat le fait de faire respecter les valeurs de la République, y compris la laïcité. Autrement dit, contraindre les associations cultuelles à devenir laïques ! L’amendement a finalement été rejeté, mais les contours de ce contrat d’engagement républicain étant encore floues, « nous restons vigilants », ajoute le père de Woillemont.

3. Nouvelles règles de financement : un faux cadeau

Un des problèmes majeurs liés au fondamentalisme islamiste étant les règles de financement de l’islam en France, la loi prévoit de mieux l’encadrer. Et pour contrebalancer la limitation des financements étrangers, elle prévoit d’ouvrir aux associations cultuelles le droit de posséder et gérer du patrimoine de rapport, notamment des immeubles de rapport. Ainsi, l’Eglise catholique pourra par exemple tirer des gains de la location de presbytères inoccupés utilisés comme logements.

« On nous présente cette nouvelle mesure comme un cadeau. En réalité ce n’en est pas un, c’est seulement le simple rétablissement d’une justice entre les différentes associations d’intérêt public, puisque depuis 2014, toutes les associations sauf les associations cultuelles peuvent posséder et gérer du patrimoine de rapport », explique le père de Woillemont.

4. Craintes partagées sur l’instruction en famille

Si elle ne concerne pas directement l’Église, celle-ci se joint à une autre inquiétude partagée par plusieurs familles catholiques. La loi prévoit en effet d’interdire l’instruction en famille, sauf dérogations qui seront très limitées. « Nous partageons les craintes de ces parents, et les interrogations sur la liberté éducative qui leur sera laissée », poursuit le père de Woillemont.

Malgré toutes ces inquiétudes, la CEF salue tout de même quelques modifications apportées au texte après des négociations fructueuses. Parmi elles, le fait que le critère de discrimination ait été retiré de la liste de ceux justifiant la fermeture d’un lieu de culte, ou encore l’abandon de l’amendement sur le critère de laïcité ajouté au contrat d’engagement républicain. « Toutes ces auditions sont l’occasion de rendre compte de ce que nous faisons, on entend de la part des parlementaires de l’écoute, une volonté de connaître, c’est plutôt encourageant. Malgré tout, tant que le texte n’est pas voté, nous restons très attentifs. » Pour l’heure, les évêques n’ont pas d’autres rencontres prévues, mais ils comptent bien se manifester aux présidents des différents groupes parlementaires pour être entendus. Affaire à suivre.

Camille Lecuit