Appel téléphonique entre Léon XIV et Vladimir Poutine, rencontre à Castel Gandolfo avec Volodymyr Zelensky, discours sur la paix et proposition de négociations : Léon XIV prend en main le dossier ukrainien, décrypte le géopoliticien Jean-Baptiste Noé.
Dans la guerre ukrainienne qui dure et qui semble infinie, le Saint-Siège tente de reprendre la main et d’engager une nouvelle inflexion. Le 5 juin, Léon XIV a eu un entretien téléphonique avec Vladimir Poutine. L’événement n’est pas anodin : rien de tel ne s’était passé sous François, alors même que le pape Bergoglio avait pointé la responsabilité de l’OTAN dans le déclenchement du conflit et s’était montré plutôt bienveillant à l’égard de la Russie, jusqu’à une inflexion en 2023. Léon XIV, en revanche, a toujours mentionné la responsabilité de Moscou dans la guerre qui sévit en Ukraine, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir cet échange téléphonique avec le président russe, une première depuis 2021, date des derniers échanges entre François et Vladimir Poutine.
La responsabilité de Moscou
Dans un entretien réalisé pour le média péruvien Semanario Expresión le 13 avril 2022, Mgr Prevost s’exprimait ainsi au sujet de la guerre qui avait débuté un mois auparavant :
« C’est un problème très grave qui touche le monde entier. Il existe de nombreuses analyses du conflit, de la guerre qui se déroule actuellement en Ukraine, mais, de mon point de vue, il s’agit d’une véritable invasion impérialiste, où la Russie veut conquérir un territoire pour des raisons de pouvoir, et bien sûr, pour son propre avantage en raison de la situation stratégique de l’Ukraine, ainsi que de la grande valeur de ce pays sur le plan culturel, historique et productif pour la Russie. Des crimes contre l’humanité sont commis, cela a déjà été prouvé, il y a des crimes qui sont commis en Ukraine. Nous devons beaucoup prier Dieu pour la paix, mais je crois que nous devons aussi être plus clairs, même certains politiciens de notre pays ne veulent pas reconnaître les horreurs de cette guerre et le mal que la Russie est en train de commettre dans toutes ses actions en Ukraine. »
Parler d’une « invasion impérialiste » motivée par « des raisons de pouvoir » montre clairement que Mgr Prevost cible la Russie comme principale responsable de cette guerre. Même si, au moment de l’entretien, il n’était pas encore cardinal et n’avait aucune responsabilité au sein de la Curie, rien ne laisse penser que l’analyse de Mgr Prevost en avril 2022 soit différente de celle de Léon XIV en juillet 2025.
Retour de la Secrétairerie d’État
L’autre inflexion est celle du retour de la Secrétairerie d’État dans le fonctionnement diplomatique du Saint-Siège. Un retour clairement exprimé lors du discours aux ambassadeurs prononcé par le nouveau pape et lors d’une allocution devant les membres de la Secrétairerie d’État le 5 juin dernier. Fini la diplomatie parallèle et la concentration des pouvoirs entre les mains du pape, Léon XIV entend s’appuyer sur son appareil curial, ses nonces et le réseau d’influence du Saint-Siège.
Dans le compte-rendu de l’entretien téléphonique publié par le Vatican, il est mentionné que le pape a demandé à la Russie de faire un geste en faveur de la paix : « Le pape a lancé un appel à la Russie pour qu’elle fasse un geste en faveur de la paix, soulignant l’importance du dialogue pour établir des contacts positifs entre les parties et rechercher des solutions au conflit ». Le Kremlin a lui aussi rendu compte de l’entretien téléphonique, dans un communiqué plus long et plus complet que celui du Saint-Siège. Si Vladimir Poutine a affirmé sa volonté de parvenir à la paix par la négociation et la voie diplomatique, il a aussi affirmé qu’il « était nécessaire d’éliminer les causes profondes de la crise ». Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que Moscou et Kiev n’ont pas du tout la même analyse des « causes profondes » de cette guerre, chacun se rejetant la part de responsabilité.
La question orthodoxe
Dans le dernier paragraphe du communiqué, le Kremlin revient sur la liberté religieuse : « Compte tenu de l’engagement bien connu du régime de Kiev à démanteler l’Église orthodoxe ukrainienne canonique, l’espoir a été exprimé que le Saint-Siège se prononce plus activement en faveur de la liberté de religion en Ukraine. »
Ici, il est fait référence aux tourments intérieurs de l’Église orthodoxe, qui connaît une série de ruptures en Ukraine. L’Église attachée à Moscou a été scindée en deux, avec une Église reconnue par Constantinople et Kiev et une autre, restée fidèle à Moscou, de plus en plus marginalisée, avec notamment la confiscation de biens immobiliers et des vexations subies par les prêtres. Pour Moscou, c’est non seulement une perte d’influence en Ukraine, mais aussi un affaiblissement du patriarche Kirill. Vladimir Poutine a donc demandé au pape d’intervenir pour rétablir ce qui, à ses yeux, est une attaque à la liberté religieuse. C’est en somme demander à Rome de régler un conflit interne à l’Église orthodoxe. Preuve que la guerre qui sévit en Ukraine a des dimensions politiques, mais aussi religieuses. À Léon XIV désormais d’aider à trouver une sortie vers la paix pour cette guerre.
La rencontre de Castel Gandolfo
Ce n’est pas parce que le pape est en vacances qu’il met de côté les affaires du monde. Sitôt installé à Castel Gandolfo il a reçu en audience privée Volodymyr Zelensky, en visite à Rome pour le sommet sur l’Ukraine. Le président ukrainien a tenu à rencontrer le pape, preuve de l’importance que celui-ci accorde à sa mission diplomatique. Les deux hommes ont conversé 30 minutes en privé puis ont fait une apparition sur le balcon de la villa Barberini. Léon XIV a réaffirmé la disposition du Saint-Siège pour accueillir des négociations et recevoir des délégations ukrainiennes et russes. Si la chose paraît impossible, désormais qu’un contact a été rétabli avec Moscou, la diplomatie du Saint-Siège pourra œuvrer en ce sens.